Atelier

Ancrage

Sur la route de Verdun à Toul, en plaine de Woëvre, un clocher fortifié en bois signale l’arrivée à Woël, village meusien de 194 âmes dont les racines remontent à l’ère médiévale et sans doute bien au-delà. Un petit monde paisible, à échelle d’homme. Un point d’ancrage et d’encrage idéal pour le graveur et sculpteur Vincent Gagliardi, venu depuis Metz dénicher ici un atelier spacieux mais discret pour donner jour et sens à son univers créatif.

Ici l’artiste se sent en accord avec ce paysage de plaine grasse, sans chichis, de ciels de traîne, de vent malin, de forêts toutes proches qu’il arpente de préférence de manière nocturne, traquant l’inspiration, pour en cueillir le mystère à l’heure de la sensation vraie.
Vincent avait besoin d’espace pour créer, stocker son matériel à inventer les formes, à fabriquer les rêves. Il a découvert par hasard à Woël sa nouvelle coquille, rénovée de ses propres mains dans un bâtiment laissé à l’abandon. Celui-ci faisait partie d’une entreprise jadis prospère, la marbrerie Emile Battavoine. Fondée en 1937, elle employa jusqu’à 50 ouvriers. Un sacré gisement de travail à l’échelle de la Meuse ! Des hangars déserts, aux carreaux cassés – si semblables à tant de friches industrielles en Lorraine du Nord au Sud – enserrent comme des témoins muets d’un effondrement économique irréversible la vaste cour jouxtant l’atelier du sculpteur. Dans cette usine fantôme, désormais, ce n’est pas la place qui manque, c’est l’activité.

Dans son espace de travail pas de télé, pas de radio, aucun bruit extérieur qui vienne troubler cette modeste Thélème si ce n’est le chant des oiseaux annonciateurs du printemps ou quelques cassettes et cd bien choisis pour accompagner en travaillant les humeurs créatives d’un voyageur au long cours. Dans son rafiot immobile, où trône sur le pont, souveraine, une presse à graver, les cales sont remplies de trésors : papier chiffon, encre, bois, caoutchouc, bouts de fils de toutes les couleurs, morceaux de bois et fragments de balatum arrachés à une disparition certaine dans de vieilles demeures désormais sans vie et dont Vincent a fait la matière première, combien modeste pourtant, de son art, dans un esprit de recyclage inspiré.

L’atelier de Vincent s’avère plutôt encombré à la perspective d’une nouvelle exposition. Les matériaux destinés à plusieurs projets s’amoncellent : morceaux de bois débités en différentes sections, chambres à air, forcément, boîtes entières remplies de lunettes de soleils, silhouettes d’arbres empilées dans un coin, travaux photographiques contre un autre mur. Chaque série avance à sa propre vitesse, seule l’échéance de l’accrochage demeure la même.

Dans l’atelier fleurant bon la colle et l’encre prennent naissance les nouvelles pièces d’un grand puzzle qui deviendra bientôt exposition, confrontation, révélation. Concentré, apaisé, inspiré, Vincent Gagliardi peint, colle, scie, rabote, grave, découpe, accumule les objets auxquels, tel Gepetto, il insuffle avec patience et malice une âme. Poète des formes, des signes, des traces, il n’en finit décidément pas de bricoler des bribes et des morceaux, de questionner amoureusement le monde des signes. Mais résolument toujours au plus près de la vie…

Extrait de Francis Kochert.